Thierry Marx, cuisinier hors norme
Mer 22 Oct 2008 - 5:19
Thierry Marx, cuisinier hors norme
par Patrice van Eersel
Dans Nouvelles Clés
En route vers le pinacle de la nomenklatura gastronomique, Thierry Marx a gardé de ses origines populaires et militantes un sens aigu de la fraternité. Libre des sophistications qui engoncent beaucoup d’élites, ce créateur échevelé, résolument anticonformiste et digne des hommes de la Renaissance, se bat pour le partage entre les peuples. Son idée : établir un va-et-vient entre gastronomie et « cuisine de rue », pour montrer à ses congénères que l’échange culinaire constitue la plus belle des Internationales.
Son apparition dans le grand public, vers 2007-2008 a frappé une foule de gens, et pas seulement à la rédaction de Clés : dans tous les milieux, on nous avait s’est mis à parler de lui. D’abord sans doute à cause de son éclectisme. Cet expérimentateur des nouvelles cuisines, qui n’hésite pas à s’inspirer de Feran Adria (le chef espagnol connu pour avoir transformé sa cuisine en labo de physique-chimie, usant d’azote liquide à -150°C et de molécules artificielles), est aussi un amoureux de la nature et un grand voyageur. Chaque année, il passe trois mois dans les régions les plus reculées, surtout en Asie, pour s’initier aux modes alimentaires des cultures les plus anciennes. Une fois rentré en France, il organise des manifestations étonnantes, comme l’événement « Toute la ville cuisine » où, en association avec des musiciens, des jongleurs et des comédiens, Thierry Marx et ses amis proposent au public des plats de « cuisine de rue », simples et équilibrés, originaires d’Asie, du Moyen Orient et d’Europe. ; ou bien cette « Rencontre des pains », où des familles de toutes les nationalités présentes dans sa région (plus d’une vingtaine) furent invitées à montrer comment on faisait du pain chez elles. « Tout le monde s’est régalé, raconte-t-il, “Ah, mais il est bon, votre pain !” Celui des Maghrébins était à base de semoule. Les ménagères françaises étaient toutes ouïes : “Ah, vous le faites avec de la semoule ?” Les autres : “Oui, il faut que vous veniez voir ça à la maison.” À partir de là, ils ont commencé à se comprendre, à accepter les enfants des autres, etc. »
Voyageur et double ceinture noire
Mais l’étonnant personnage a bien d’autres visages C’est notamment un guerrier. Un vrai, installé au-delà de la violence : un pacifique fondamental, qui pratique la boxe, enseigne le judo et l’autodéfense jujitsu - pas spécialement aux athlètes : hommes, femmes, jeunes, vieux, tout le monde est le bienvenu dans son dojo bordelais. Il a aussi écrit un livre sur l’art du sabre dans le japon du XVII°siècle... Il faut dire que son premier métier, à 18 ans, une fois ses deux CAP de cuisinier et de pâtissier-confiseur-glacier en poche, fut parachutiste dans l’infanterie de marine. Il voulait s’arracher au risque de la délinquance qui le guettait, découvrir le monde, vivre des aventures. Mais il était tout imprégné de l’idéal de son grand-père, qui portait bien son nom : réfugié juif polonais, militant communiste, Marcel Marx fut un résistant de choc contre les nazis, qui ne sombra jamais dans le dogmatisme : il se disait anarchiste et accrochait ses médailles de guerre au collier de son chien ! Au bout de deux ans, Thierry s’est retrouvé casque bleu, au Liban. Une situation terrible. Depuis les guerres de Bosnie et du Kosovo, tout le monde a compris à quelles horreurs psychologiques sont soumis les « guerriers de la paix », contraints d’assister au pire (notamment aux massacres de civils) sans pouvoir intervenir. À la fin, au Liban, Thierry Marx n’y tint plus et s’engagea comme mercenaire dans le camp chrétien...
Comme la plupart des anciens combattants, il n’aime pas parler de cette période. Mais il admet qu’elle l’a définitivement transformé en citoyen du monde. En cuisinier du monde ! « J’ai vécu dans le centre de Beyrouth en plein bombardement, et là, dans le chaos général, des types vendaient des falafels. On se demandait comment ils pouvaient fabriquer ça. Ils avaient soudé sur un bidon métallique une plaque où ils chauffaient le pain et faisaient griller leur viande. Eh bien, vous aviez des voitures de toutes les communautés en guerre les unes contre les autres - les phalanges, l’armée prosyrienne, Tsahal, les Palestiniens... - qui, pour s’approvisionner, observaient une trêve tacite. Tout le monde savait que l’on pouvait se fournir là. Le fait de nourrir les gens est œcuménique. Pour moi, la cuisine, bien au-delà des recettes, c’est ça : le partage, l’offrande de ce que notre patrimoine culinaire nous a transmis. »
Protéger l’artisanat de la street food
Sa vision des liens directs entre cuisine populaire et gastronomie lui semble naturelle... La cuisine populaire, il connaît : grandi à Ménilmontant, puis à Champigny-sur-Marne, en bonne partie dans la rue, ce Titi à dégaine de Bruce Willis, a vu se constituer avec délectation la cuisine métis de la France d’aujourd’hui, faite de couches ethniques successives, maghrébine, vietnamienne, turque, chinoise, américaine, mexicaine, africaine, japonaise... Pour lui, comprendre ce qu’il appelle la « street food » est tout bonnement essentiel pour l’avenir de la planète : « Je ne critique pas la cuisine assez élitiste que je pratique aujourd’hui (le couvert moyen doit être à 160 euros). Mais je suis encore plus passionné par l’avenir culinaire de l’humanité. Repérer les meilleures cuisines de rue et les réinjecter chez nous et ailleurs, avec le sens du petit artisanat et un vrai savoir faire, me semble une tâche essentielle. Sinon, dans quelques années, nous serons inondés de bouffe industrielle, et nous perdrons tout : la santé, le savoir faire et, pire encore, le goût ! »
Comment faire ? D’abord, voyager : « Le voyage à travers les cuisines est le moyen le plus universel d’aller vers les autres. Un musicien connaît un peu ça : où qu’il aille, il peut jouer et offrir sa musique. Un cuisinier est encore mieux loti - surtout s’il dit qu’il est français ! C’est très facile, mais on l’a oublié. Aujourd’hui, quand vous pigez le bœuf kasher, ou l’esprit de la cuisine turque du kebab, ou les boulettes de poulpe frites à la crème qu’on vend dans les rues japonaises, vous allez vers la compréhension de ces communautés, sans les juger, juste parce que vous partagez une envie de satisfaire une faim. Ensuite, le meilleur sandwich avocat/oignon rouge/poulet rôti que vous aurez trouvé dans les rues de San Francisco, vous pourrez le refaire, pour vos amis, à la maison. De cette façon, vous tisserez des liens entre les humains, en suivant le fil rouge du besoin le plus impérieux : manger pour survivre... en vous régalant. »
L’audace du créateur d’avant-garde
Mais il sait aussi de quoi il parle quand il évoque la grande cuisine : son restaurant Relais et Châteaux Cordeillan-Bages, à Pauillac, dans le Bordelais, lui a valu deux étoiles dans le Guide Michelin (catégorie Meilleurs espoirs 2006), ainsi qu’une note de 19,5 sur 20 et la mention « Chef de l’année » chez Gault & Millau, et aussi le titre de Créateur de l’année de la revue "Omnivore". C’est un casse-cou, qui ose s’aventurer loin dans le style iconoclaste, par exemple avec son bœuf carotte en rouleau, sa quiche lorraine liquide, son pied de porc fondant, son risotto de soja, huîtres et truffes, sa glace de tomate nageant dans un potage au pavot, ou simplement sa glace aux cèpes. Autour de lui, une équipe de jeunes cuisiniers enthousiastes expérimente sans relâche. Comment transformer des fruits de la passion en perles translucides, puis en agrémenter des pieds de porc ? S’il faut utiliser un chalumeau, ils le feront ! Évidemment, certains convives classiques sont choqués. « J’en suis désolé, dit Thierry Marx, ça peut complètement me déstabiliser. Suis-je à la hauteur ? Donner du plaisir, partager, la vie ne vaut d’être vécue que pour ça ! » Du coup, le dimanche, il donne à ses clients la possibilité de le corriger - avec repas offert à l’un des convives et bulletin de notes à la sortie. Quand on lui demande qui est le plus grand chef actuel, il cite l’ultra-techno Feran Adria, dont il partage l’audace ; mais son plus grand souvenir gastronomique reste, bien plus humblement, un stage de plusieurs jours auprès d’un maître sushi japonais, qui lui a enseigné « le goût juste ». Là, l’artiste martial a pu renouer avec la sagesse zen - chaque fois qu’il se trouve au Japon, il va méditer tous les matins dans un temple...
Il faut dire que c’est là-bas qu’il trouve ses inspirations les plus fortes. « Leur street food est la mieux réussie, par exemple avec leurs bars à nouilles où un cadre supérieur vient manger ses tokoyati, assis à côté d’un collégien, son cartable sur le dos, et d’un balayeur des rues. C’est ce brassage qui est génial ! »
Un champion qui embrasse large
Thierry Marx, le champion biface. D’un côté, il vous cite les princes : « Au Congrès de Vienne, Talleyrand organisa des repas somptueux, pour essayer d’éviter que la France, battue et ruinée, ne soit démantelée par les Anglais et les Russes. Il a fait ça avec un chef, Thomas Carême, qui présentaient des dîners avant-gardistes, où il faisait venir des homards vivants de Bretagne, des coulommiers de Brie, tout le raffinement français... Pour eux, la diplomatie passait par la table. C’est toujours vrai. Partager un repas, c’est introduire une culture dans le corps de l’autre. C’est comme le thé, dont les Chinois disent : “Il commence à vivre dans la théière, puis il continue à vivre en vous.” La cuisine, c’est ça : une espèce de cheminement, dont vous allez vous souvenir - la mémoire olfactive et gustative est prodigieuse ! » Et de l’autre côté, il reste fidèle au peuple : « Aujourd’hui, ce que j’aime le plus, c’est aller vers les gens qui ne savent plus rien. Connaissez-vous l’épicerie sociale ? On pense aider les gens démunis en leur donnant de l’argent, mais ils se font voler, s’achètent n’importe quoi - avec un taux d’obésité énorme. Leur déficit culturel et intellectuel leur interdit de faire des courses intelligentes. Je vois la mère de famille pauvre, qui n’achète que des produits surgelés et des sodas. Je ne juge pas. Elle est coupée de la nature et possède trois téléviseurs, branchés sur Star Académie. Moi, je débarque là-dedans et, pour le même budget, j’achète des fruits, de la farine, des légumes... Elle me répond : « Je ne cuisine plus, les enfants n’aiment pas. » Alors je lui apprends à cuisiner pour ses gosses. Le monde nanti ne m’intéresse pas. J’ai dit à Jean-Pierre Coffe et aux journalistes bobos : “Arrêtez de nous emmerder avec vos produits super bio pour riches ! Moi, je veux parler aux gens qui ne vont que dans les épiceries discount. J’y entraîne leurs gamins, nous achetons une boite de boudoirs et quelques pommes et nous faisons une superbe charlotte. Il faut apprendre ça aux mômes entre sept et douze ans. Ce sont eux qui changeront le monde ! »
par Patrice van Eersel
Dans Nouvelles Clés
En route vers le pinacle de la nomenklatura gastronomique, Thierry Marx a gardé de ses origines populaires et militantes un sens aigu de la fraternité. Libre des sophistications qui engoncent beaucoup d’élites, ce créateur échevelé, résolument anticonformiste et digne des hommes de la Renaissance, se bat pour le partage entre les peuples. Son idée : établir un va-et-vient entre gastronomie et « cuisine de rue », pour montrer à ses congénères que l’échange culinaire constitue la plus belle des Internationales.
Son apparition dans le grand public, vers 2007-2008 a frappé une foule de gens, et pas seulement à la rédaction de Clés : dans tous les milieux, on nous avait s’est mis à parler de lui. D’abord sans doute à cause de son éclectisme. Cet expérimentateur des nouvelles cuisines, qui n’hésite pas à s’inspirer de Feran Adria (le chef espagnol connu pour avoir transformé sa cuisine en labo de physique-chimie, usant d’azote liquide à -150°C et de molécules artificielles), est aussi un amoureux de la nature et un grand voyageur. Chaque année, il passe trois mois dans les régions les plus reculées, surtout en Asie, pour s’initier aux modes alimentaires des cultures les plus anciennes. Une fois rentré en France, il organise des manifestations étonnantes, comme l’événement « Toute la ville cuisine » où, en association avec des musiciens, des jongleurs et des comédiens, Thierry Marx et ses amis proposent au public des plats de « cuisine de rue », simples et équilibrés, originaires d’Asie, du Moyen Orient et d’Europe. ; ou bien cette « Rencontre des pains », où des familles de toutes les nationalités présentes dans sa région (plus d’une vingtaine) furent invitées à montrer comment on faisait du pain chez elles. « Tout le monde s’est régalé, raconte-t-il, “Ah, mais il est bon, votre pain !” Celui des Maghrébins était à base de semoule. Les ménagères françaises étaient toutes ouïes : “Ah, vous le faites avec de la semoule ?” Les autres : “Oui, il faut que vous veniez voir ça à la maison.” À partir de là, ils ont commencé à se comprendre, à accepter les enfants des autres, etc. »
Voyageur et double ceinture noire
Mais l’étonnant personnage a bien d’autres visages C’est notamment un guerrier. Un vrai, installé au-delà de la violence : un pacifique fondamental, qui pratique la boxe, enseigne le judo et l’autodéfense jujitsu - pas spécialement aux athlètes : hommes, femmes, jeunes, vieux, tout le monde est le bienvenu dans son dojo bordelais. Il a aussi écrit un livre sur l’art du sabre dans le japon du XVII°siècle... Il faut dire que son premier métier, à 18 ans, une fois ses deux CAP de cuisinier et de pâtissier-confiseur-glacier en poche, fut parachutiste dans l’infanterie de marine. Il voulait s’arracher au risque de la délinquance qui le guettait, découvrir le monde, vivre des aventures. Mais il était tout imprégné de l’idéal de son grand-père, qui portait bien son nom : réfugié juif polonais, militant communiste, Marcel Marx fut un résistant de choc contre les nazis, qui ne sombra jamais dans le dogmatisme : il se disait anarchiste et accrochait ses médailles de guerre au collier de son chien ! Au bout de deux ans, Thierry s’est retrouvé casque bleu, au Liban. Une situation terrible. Depuis les guerres de Bosnie et du Kosovo, tout le monde a compris à quelles horreurs psychologiques sont soumis les « guerriers de la paix », contraints d’assister au pire (notamment aux massacres de civils) sans pouvoir intervenir. À la fin, au Liban, Thierry Marx n’y tint plus et s’engagea comme mercenaire dans le camp chrétien...
Comme la plupart des anciens combattants, il n’aime pas parler de cette période. Mais il admet qu’elle l’a définitivement transformé en citoyen du monde. En cuisinier du monde ! « J’ai vécu dans le centre de Beyrouth en plein bombardement, et là, dans le chaos général, des types vendaient des falafels. On se demandait comment ils pouvaient fabriquer ça. Ils avaient soudé sur un bidon métallique une plaque où ils chauffaient le pain et faisaient griller leur viande. Eh bien, vous aviez des voitures de toutes les communautés en guerre les unes contre les autres - les phalanges, l’armée prosyrienne, Tsahal, les Palestiniens... - qui, pour s’approvisionner, observaient une trêve tacite. Tout le monde savait que l’on pouvait se fournir là. Le fait de nourrir les gens est œcuménique. Pour moi, la cuisine, bien au-delà des recettes, c’est ça : le partage, l’offrande de ce que notre patrimoine culinaire nous a transmis. »
Protéger l’artisanat de la street food
Sa vision des liens directs entre cuisine populaire et gastronomie lui semble naturelle... La cuisine populaire, il connaît : grandi à Ménilmontant, puis à Champigny-sur-Marne, en bonne partie dans la rue, ce Titi à dégaine de Bruce Willis, a vu se constituer avec délectation la cuisine métis de la France d’aujourd’hui, faite de couches ethniques successives, maghrébine, vietnamienne, turque, chinoise, américaine, mexicaine, africaine, japonaise... Pour lui, comprendre ce qu’il appelle la « street food » est tout bonnement essentiel pour l’avenir de la planète : « Je ne critique pas la cuisine assez élitiste que je pratique aujourd’hui (le couvert moyen doit être à 160 euros). Mais je suis encore plus passionné par l’avenir culinaire de l’humanité. Repérer les meilleures cuisines de rue et les réinjecter chez nous et ailleurs, avec le sens du petit artisanat et un vrai savoir faire, me semble une tâche essentielle. Sinon, dans quelques années, nous serons inondés de bouffe industrielle, et nous perdrons tout : la santé, le savoir faire et, pire encore, le goût ! »
Comment faire ? D’abord, voyager : « Le voyage à travers les cuisines est le moyen le plus universel d’aller vers les autres. Un musicien connaît un peu ça : où qu’il aille, il peut jouer et offrir sa musique. Un cuisinier est encore mieux loti - surtout s’il dit qu’il est français ! C’est très facile, mais on l’a oublié. Aujourd’hui, quand vous pigez le bœuf kasher, ou l’esprit de la cuisine turque du kebab, ou les boulettes de poulpe frites à la crème qu’on vend dans les rues japonaises, vous allez vers la compréhension de ces communautés, sans les juger, juste parce que vous partagez une envie de satisfaire une faim. Ensuite, le meilleur sandwich avocat/oignon rouge/poulet rôti que vous aurez trouvé dans les rues de San Francisco, vous pourrez le refaire, pour vos amis, à la maison. De cette façon, vous tisserez des liens entre les humains, en suivant le fil rouge du besoin le plus impérieux : manger pour survivre... en vous régalant. »
L’audace du créateur d’avant-garde
Mais il sait aussi de quoi il parle quand il évoque la grande cuisine : son restaurant Relais et Châteaux Cordeillan-Bages, à Pauillac, dans le Bordelais, lui a valu deux étoiles dans le Guide Michelin (catégorie Meilleurs espoirs 2006), ainsi qu’une note de 19,5 sur 20 et la mention « Chef de l’année » chez Gault & Millau, et aussi le titre de Créateur de l’année de la revue "Omnivore". C’est un casse-cou, qui ose s’aventurer loin dans le style iconoclaste, par exemple avec son bœuf carotte en rouleau, sa quiche lorraine liquide, son pied de porc fondant, son risotto de soja, huîtres et truffes, sa glace de tomate nageant dans un potage au pavot, ou simplement sa glace aux cèpes. Autour de lui, une équipe de jeunes cuisiniers enthousiastes expérimente sans relâche. Comment transformer des fruits de la passion en perles translucides, puis en agrémenter des pieds de porc ? S’il faut utiliser un chalumeau, ils le feront ! Évidemment, certains convives classiques sont choqués. « J’en suis désolé, dit Thierry Marx, ça peut complètement me déstabiliser. Suis-je à la hauteur ? Donner du plaisir, partager, la vie ne vaut d’être vécue que pour ça ! » Du coup, le dimanche, il donne à ses clients la possibilité de le corriger - avec repas offert à l’un des convives et bulletin de notes à la sortie. Quand on lui demande qui est le plus grand chef actuel, il cite l’ultra-techno Feran Adria, dont il partage l’audace ; mais son plus grand souvenir gastronomique reste, bien plus humblement, un stage de plusieurs jours auprès d’un maître sushi japonais, qui lui a enseigné « le goût juste ». Là, l’artiste martial a pu renouer avec la sagesse zen - chaque fois qu’il se trouve au Japon, il va méditer tous les matins dans un temple...
Il faut dire que c’est là-bas qu’il trouve ses inspirations les plus fortes. « Leur street food est la mieux réussie, par exemple avec leurs bars à nouilles où un cadre supérieur vient manger ses tokoyati, assis à côté d’un collégien, son cartable sur le dos, et d’un balayeur des rues. C’est ce brassage qui est génial ! »
Un champion qui embrasse large
Thierry Marx, le champion biface. D’un côté, il vous cite les princes : « Au Congrès de Vienne, Talleyrand organisa des repas somptueux, pour essayer d’éviter que la France, battue et ruinée, ne soit démantelée par les Anglais et les Russes. Il a fait ça avec un chef, Thomas Carême, qui présentaient des dîners avant-gardistes, où il faisait venir des homards vivants de Bretagne, des coulommiers de Brie, tout le raffinement français... Pour eux, la diplomatie passait par la table. C’est toujours vrai. Partager un repas, c’est introduire une culture dans le corps de l’autre. C’est comme le thé, dont les Chinois disent : “Il commence à vivre dans la théière, puis il continue à vivre en vous.” La cuisine, c’est ça : une espèce de cheminement, dont vous allez vous souvenir - la mémoire olfactive et gustative est prodigieuse ! » Et de l’autre côté, il reste fidèle au peuple : « Aujourd’hui, ce que j’aime le plus, c’est aller vers les gens qui ne savent plus rien. Connaissez-vous l’épicerie sociale ? On pense aider les gens démunis en leur donnant de l’argent, mais ils se font voler, s’achètent n’importe quoi - avec un taux d’obésité énorme. Leur déficit culturel et intellectuel leur interdit de faire des courses intelligentes. Je vois la mère de famille pauvre, qui n’achète que des produits surgelés et des sodas. Je ne juge pas. Elle est coupée de la nature et possède trois téléviseurs, branchés sur Star Académie. Moi, je débarque là-dedans et, pour le même budget, j’achète des fruits, de la farine, des légumes... Elle me répond : « Je ne cuisine plus, les enfants n’aiment pas. » Alors je lui apprends à cuisiner pour ses gosses. Le monde nanti ne m’intéresse pas. J’ai dit à Jean-Pierre Coffe et aux journalistes bobos : “Arrêtez de nous emmerder avec vos produits super bio pour riches ! Moi, je veux parler aux gens qui ne vont que dans les épiceries discount. J’y entraîne leurs gamins, nous achetons une boite de boudoirs et quelques pommes et nous faisons une superbe charlotte. Il faut apprendre ça aux mômes entre sept et douze ans. Ce sont eux qui changeront le monde ! »
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